Le départ à la pension comme processus de séparation et enjeu éthique

Notre travail en institution nous amène à rencontrer des enfants qui ont des troubles de l’attachement. Nos réponses à leurs besoins profonds passe par notre disponibilité psychique et notre capacité à créer un lien sécurisé avec eux. Notre travail est principalement de nature transférentielle (relationnelle). Les ressources personnelles que nous engageons sont enrichies par des alliances de travail.

Certains intervenants développent un lien d’affiliation fort avec leur communauté de travail et la structure qui l’étaye.
Le départ à la pension (retraite) n’est pas qu’une simple réorganisation de notre emploi du temps, il est aussi un processus de séparation qui touche à nos capacités de rencontrer la perte et de traverser des moments d’incertitude.

Ce processus de séparation comporte deux dimensions.
Pour une part, il s’anticipe avant le départ et se poursuit après sur un mode relationnel

qui permet une symbolisation progressive de la perte de quelque chose qui va se transformer.
La présence devient progressivement une absence/présence. Le départ est anticipé avec les bénéficiaires associés peut-être pour la première fois à un processus de séparation qui ne se règle pas simplement par une rupture, une évacuation, un déni des émotions.
Il s’anticipe aussi avec les collègues, les équipes, les directions. La dernière année n’est pas la même que les autres. Elle peut se centrer sur la transmission, les remerciements, la gratitude à travers des signes, des objets échangés…

Mais ce processus comporte aussi une dimension qui concerne un reste difficile à symboliser. Il touche aussi à nos limites, failles et fragilités.
Reconnaissons que pour une part, l’institution nous sert de point d’appui et il nous aide à constituer notre propre contenance narcissique.

Quitter son emploi, c’est perdre un point d’appui. Cela angoisse et met en jeu des mécanismes de protection plus archaïques: maintenir du contrôle sur ses points d’appui ou rompre complètement pour s’appuyer au plus vite sur autre chose.

Le processus de séparation combine souvent ces deux dimensions. Lorsque la dimension relationnelle domine et que le travail autour de la perte est créatif, le lien à l’institution peut se transformer et se prolonger. Nous changeons de place, de distance, de rôle mais les contacts et certaines relations peuvent être maintenus. J’appellerais cet état d’esprit une « disponibilité bienveillante ».

Remarquons, c’est important, que ce processus est bilatéral. L’institution y est concernée, elle aussi.
Prise dans la nécessité de gérer le quotidien, d’intégrer les nouveaux intervenants, elle est partagée entre le souci d’entretenir le lien avec ceux qui quittent et l’oubli rapide facilité par l’absence. C’est parfois un vécu amer pour ceux qui quittent ou sont absents de manière prolongée pour maladie de constater que « leur trou dans l’eau » se referme rapidement (Les copains d’abord- G. Brassens).
La manière dont une institution reconnaît et participe à ce processus de séparation de départ à la pension fait partie d’un enjeu éthique global.
Tout comme avec les bénéficiaires et avec les intervenants, l’institution (et donc chacun!) doit soigner le versant relationnel ( la dimension Je-Tu dirait Martin Buber) et y revenir lorsque le Je-Cela (dépersonnalisation,désubjectivation) s’impose par facilité ou malignité.

La « disponibilité bienveillante » peut être reconnue comme une ressource utilisable par l’institution dans de petits projets ou initiatives.
Si elle n’est pas dans le contrôle ou le ressentiment, la personne qui a quitté peut apporter quelque chose d’irremplaçable en reconnaissant, avec la tendresse du détachement, la créativité de ceux qui travaillent et en faisant signe d’un attachement profond à des valeurs partagées.

Petits projets qui concrètement peuvent être : participer à un moment festif, enregistrer des témoignages d’anciens (l’IMP Ste Gertrude a plus de 160 ans!), participer à un conseil pastoral, être témoin d’une réunion de réflexion…

Luc Laurent